7ème édition de Chapelle Vidéo et proposée par le commissaire indépendant Guillaume Désanges, Ma’aminim, (les croyants) expose des œuvres d’art mais aussi des affiches, des clips ou des films militants, autant d’expériences formelles, de fragments d’une production poétique et politique prolifique qui accompagne les mouvements sociaux traversant la France et tout particulièrement le département de la Seine-Saint-Denis depuis 1968. Les "croyants" désignent ici les croyants politiques, ceux qui luttent pour un idéal et entendent changer le monde à travers l’action collective. Le lieu de l’exposition, la chapelle du musée d’art et d’histoire de Saint Denis, lui donne une résonnance particulière, créant un lien sourd entre foi et engagement politique, entre images et idéal.
© MC-TG-GD / Work Method d’après le film La Cité du soleil, Jean-Claude Sée
Or il fut un temps passé où le futur était présent
A l’origine, le projet Ma’aminim (les croyants) s’inspire de l’identité sociale et politique du département de la Seine-Saint-Denis et des relations à l’image qu’il a pu susciter, de manière directe et indirecte, concrète et métaphorique. Ici, la Seine-Saint-Denis n’est pas un sujet mais une occasion, un prisme d’enjeux disparates qui inspirent l’exposition sans la déterminer. Pour ce faire, la décision a été de travailler avec des fonds locaux : la collection départementale d’art contemporain, le musée d’art et d’histoire de Saint-Denis, le musée de l’Histoire vivante, l’Institut CGT d’Histoire Sociale et les Archives départementales (où sont déposées les archives du Parti Communiste Français, de la CGT, mais aussi d’ISKRA/SLON, société de production et diffusion fondée par Chris Marker et Inger Servolin). Cette concentration unique de ressources sur les luttes sociales et politiques qui ont agité la France au vingtième siècle est l’occasion d’éclairer quelques angles morts de l’histoire via des films militants, des clips, des objets, des documents de propagande et des œuvres d’art. A partir de ces sources, il s’est agi de composer une exposition hantée par un contexte sans le traiter frontalement, établissant des associations libres entre des objets trouvés sur place, ou pas très loin, sans anticipation du résultat. C’est dire si le processus de recherche a ici autant d’importance que sa forme finale.
On sait l’histoire de la banlieue « rouge » de Paris depuis le 19e siècle, et la manière dont l’héritage social, industriel et politique en façonne encore aujourd’hui la physionomie. On sait la charge productive astreinte à ce territoire et le rôle de laboratoire social qu’il endossa malgré lui, au gré des vagues d’immigration et des soubresauts de l’économie, avec ses moments de grâce et ses déceptions, ses périodes héroïques et ses coups de blues, ses aspirations bruyantes et ses silences menaçants. On comprend dès lors pourquoi c’est ici que les mouvements de résistance parmi les plus emblématiques du siècle passé ont pu trouver des courroies d’accélération, du Front populaire à Mai 1968, des grèves liées à la désindustrialisation à l’embrasement de 2005, des premiers concerts punks de Bérurier noir à NTM, et comment ce territoire garde un potentiel de renouvellement de ces énergies critiques. Ce qui nous intéresse, dans cette exposition, c’est la manière dont ces mouvements se sont accompagnés d’expériences formelles, pragmatiques et artistiques, poétiques et politiques.
Emprunté à l’hébreu, le titre « Ma’aminim », signifie « les croyants » . Les croyants, ici, sont les croyants politiques, ceux qui luttent pour un idéal, ceux qui veulent changer le monde à travers l’action collective, et qui, à chaque génération, prennent le risque de se mesurer au réel. Ce sont aussi potentiellement les déçus, les trahis, ceux qui reculent et qui parfois doivent abjurer leur foi. L’exposition passe ainsi discrètement d’un idéalisme éclairé aux humeurs crépusculaires. Bien entendu, faire ce projet dans une chapelle donne une résonance particulière à ce terme, opérant un lien sourd entre foi et engagement politique. Une injonction religieuse inscrite sur les murs de l’ancien carmel attenant à la chapelle montre l’ambiguïté féconde de certaines expressions : « On passe toute sa vie à projeter, il en faudrait une autre pour exécuter ». Lue d’un point de vue marxiste, elle éclaire l’inscription, problématique mais nécessaire, de l’idéal révolutionnaire dans le temps de l’histoire.
C’est cette relation problématique de l’art au temps que l’art militant, et donc cette exposition, met en œuvre. L’engagement politique se conjugue naturellement au présent et au futur (et volontiers à l’impératif). De fait, chez les « croyants », c’est un élan spéculatif, un mouvement d’anticipation, qui anime les formes et l’action. Une tension révolutionnaire tournée vers l’avenir, faite d’intention et de prétention, au bon sens du terme. Observer le présent de manière critique pour dévier le sens de l’histoire : tel est l’agenda de la pensée révolutionnaire, son « emploi du temps ». Des « lendemains qui chantent » au « changer la vie » du programme commun de 1981, c’est dans la perspective d’un sens de l’histoire que se place la lutte sociale. Or, dans l’imaginaire politique, l’une des caractéristiques de ces dernières années est le sentiment d’une perte progressive des interrogations du présent (sans même parler du futur) pour se concentrer sur le passé. Un régime généralisé de la crispation, de la résistance plus que de la projection, dans l’art et ailleurs, qui a certes de belles exceptions. Ce présent spéculatif est si étranger à notre époque qu’il est volontiers abordé de manière à la fois fascinée et nostalgique. Voire fantomatique. Des spectres politiques qui s’invoquent autant qu’ils ne s’évoquent. Parfois, on se demande si l’on n’a pas rêvé ce monde. C’est à partir de ce constat que l’exposition s’articule autour de deux films d’anticipation, qui jouent sur un brouillage dans les temps du discours. Le présent-futur des témoignages recueillis par Neil Beloufa dans « Kempinski » et la réflexion technologico-politique sur l’avenir du syndicalisme de Chris Marker dans « 2084 ». Entre ces deux projections oniriques et nocturnes, l’exposition assemble des documents au présent, qui opèrent comme des chambres d’écho en direct, sans distance, des événements de leur époque.
Si loin, si proche
Industrie, urbanisme, décolonisation, immigration, politique : c’est autour de cinq piliers thématiques en tourniquet que s’est organisée notre recherche. Cinq enjeux clichés des banlieues françaises, qui se trouvent, en Seine-Saint-Denis, comme « pressés » par l’Histoire. Un vortex de situations d’urgence, issues de relations enchevêtrées de causes à effet, qui a forgé la topographie de ce territoire, et surtout déterminé des destins individuels. Industrie, urbanisme, décolonisation, immigration : des mots qui cessent d’être des abstractions sociologiques ou des impératifs idéologiques pour s’actualiser concrètement dans le paysage et la chair des personnes. C’est d’ailleurs pourquoi la représentation politique ne cesse de zoomer et de dézoomer entre critique structurelle et situations concrètes, entre projet et réalité, entre mouvements de foule et portraits serrés. Un jeu de focale qui en redouble un autre, entre localité et globalité de la lutte. Si l’exposition Ma’aminim (les croyants) annexe, dans une apparence de désordre, des rives éloignées, c’est en affinité avec cette idée fondamentale que toute conscience politique radicale opère naturellement une fusion des luttes. On voit bien comment, avant et après 1968, au Quartier Latin, à Vincennes et ailleurs, les revendications étudiantes croisent celles des ouvriers, la décolonisation entre en résonnance avec le féminisme, l’anticapitalisme avec l’écologie, tandis que les rumeurs du Chili de Pinochet ou du Portugal de Salazar résonnent sur les campus. On a beaucoup glosé sur le caractère parfois artificiel de ces rapprochements et les hiatus existants entre des acteurs socialement si disparates, dont la relation manquée entre syndicats, étudiants et ouvriers en mai 1968 fut l’emblème. C’est pourtant la résistance avec un grand R, pas une « résistance à » mais une résistance tout court, intransitive, globale, qui domine l’aspiration révolutionnaire. Une élection prioritaire de la lutte plus qu’une sélection de luttes prioritaires. Les marques de cette universalité de principe se lisent dans la juxtaposition, au sein de nombreux projets militants, d’images anonymes et décontextualisées mises en parallèle sans hiérarchie .
C’est dans ce même ordre d’idées que l’exposition opère par rapprochement d’objets disparates, tant géographiquement qu’historiquement. Dans une forme qui bat au rythme de son sujet, mettre en relation des éléments trouvés au hasard des rencontres, dans un régime curatorial de l’urgence et de la nécessité. À cette occasion, tenter d’activer le document par une confrontation critique à d’autres formes, avec l’espoir secret de mesurer les écarts, les divergences, mais aussi les filiations et les familiarités qui se jouent entre des formes si diverses d’engagements politiques et artistiques. En pariant finalement sur une continuité organique de ces manifestations sous le règne de la croyance. Montrer qu’en tant que contestation des formes dominantes produites par la société tout art est partiellement politique, tandis que tout engagement politique, nécessitant une forme pour toucher l’autre, s’incarne dans une esthétique. Dès lors, l’exposition fait la part belle aux entités glissantes, impures et fortes qui ne relèvent pas d’une rupture dans l’exigence artistique, mais de sa continuation naturelle dans l’espace social. Cette famille recomposée de « croyants » entend exposer ses tensions sans opposition dialectique. Dessinant une nébuleuse cognitive et affective plus qu’une grille analytique, dans un ordre poétique plus que discursif, cette alliance de circonstance, parcellaire et subjective, rêverait de connecter imprudemment le passé, le présent et le futur et de transformer la nostalgie en anticipation critique.
Guillaume Désanges, commissaire de l’exposition
Avec les œuvres de :
Djouhra Abouda, Karel Appel, Werner Bischoff, Alain Bonnamy, Atelier Fabrizi, Neil Beloufa, Bérurier Noir, Claude Blanchet, Gérald Bloncourt, Canan Çoker, Michèle Collery, F. Coudert, C. Filion, Michel Fleurmont, Jean-Pierre Gallèpe, Gasquet, Kiki Picasso, Ladislas Kijno, Jean Kiras, Georges Lavroff, Jean-Partick Lebel, Yves Lorant, Chris Marker, Mohamed Mazouni, Sergueï Merkuroff, Anaïs Prosaic, Salah Sadaoui, Jean-Claude Sée, Orhan Taylan, Yusuf Taktak, João Silverio Trevisàn, Philippe Truchet, Jean-Gabriel Périot, Nil Yalter.
Jeudi 29 janvier À 18H30
Présentation de l’exposition par Maéva Cence, commissaire associée.
Gratuit, sans réservation.
Samedi 7 février à KHIASMA
à 17h - projection du film Soleil O de Med Hondo, 98 mn
à 19h - Trésors de scopitones arabes kabyles, berbères, d’Anaïs Prosaic et Michèle Colleery, 1999, 52 mn
à 20h - Rencontre avec Catherine Roudé et Olivier Hadouchi : Quelle politique de la recherche sur le cinéma militant ? animée par Guillaume Désanges et Olivier Marbœuf
Espace Khiasma, 15, rue Chassagnole, 93 260 Les Lilas
Contact : 01 43 63 37 45
Dimanche 8 février À 14H30
Visite de l’exposition couplée avec celle des collections du musée sur le thème de l’engagement.
Entrée aux tarifs habituels du musée.
Guillaume Désanges est critique d’art et commissaire d’exposition. Il dirige Work Method, structure indépendante de production. Il développe internationalement des projets d’expositions et de conférences.
Derniers projets : Concrete Erudition (2009-2011, Le Plateau-Frac Ile-de France, Paris) ; Erre (2011, Centre Pompidou Metz) ; Amazing ! Clever ! Linguistic !, An Adventure in Conceptual Art (2013, Generali Foundation, Vienne, Autriche) ; Des gestes de la pensée (La Verrière, Brussels, 2013-2015) ; Une exposition universelle, section documentaire (Louvain-la-Neuve biennale, Belgique, 2013).
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Renseignements :
01 42 43 37 57
musee@ville-saint-denis.fr
Horaires d’ouverture
lundi-mercredi-vendredi : 10h/17h30
jeudi : 10h/20h0
samedi-dimanche : 14h/18h30
fermé mardi et jours fériés
Tarif
Accès gratuit à la Chapelle
Accès :
Métro : ligne 13, station Porte de Paris, sortie 3
RER : ligne D arrêt Gare de Saint-Denis
Autobus : 153,154, 170, 239, 253, 254, 255
Tram : T1 et T5
Voiture : autoroutes A1 et A86, sortie Saint-Denis Porte de Paris
Parking : Basilique
MUSÉE D’ART ET D’HISTOIRE
22 BIS RUE GABRIEL PÉRI
93200 SAINT-DENIS